Peut on trouver le désert dans la ville ? 1/3

Spontanément, quand on pense au mot “ville”, on ne l’associe pas naturellement au terme “désert”. D’un coté du bruit, de l’agitation, de la foule… De l’autre le silence, le dépouillement, la solitude… Pourtant, les Fraternités Monastiques de Jérusalem ont découvert le “désert dans la ville” au cœur de leur spiritualité. Equipés de la revue Sources Vives, particulièrement en son numéro 166, nous allons tacher d’éclairer ce paradoxe. 

Ce que les premiers moines allaient chercher hier dans le désert, tu le trouveras aujourd’hui dans la ville” (Livre de Vie). 

Pour débuter cette enquête, commençons par le commencement : qu’est ce que le désert, mise à part une vaste étendue de sable ?  

Qu’est ce que le désert ? 

« J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence… » (Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, New-York : Reynal & Hitchcock, 1943.)

Dans la Bible, le désert a un statut qui n’est pas dépourvu d’ambiguïté. Si l’on va chez le prophète Jérémie, par exemple, à quelques versets d’écart, deux sens, a priori contradictoires, sont donnés au désert.

Jr 2,2 : “Ainsi parle le Seigneur : Je me souviens de la tendresse de tes jeunes années, ton amour de jeune mariée, lorsque tu me suivais au désert, dans une terre inculte.”

Jr 2, 6 : “« Où est-il, le Seigneur, lui qui nous a fait monter de la terre d’Égypte et marcher dans le désert, terre aride et ravinée, terre sèche et sinistre, terre où personne n’est jamais passé, où aucun homme n’a jamais habité ? »

Paradoxalement, le désert est donc à la fois un lieu de mort et un lieu de vie. Il est un lieu de mort puisqu’en cette terre asséchée et aride, peu de choses poussent et la vie se fait rare. C’est lui qui t’a fait traverser ce désert, vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif.” (Dt 8, 15) Spirituellement, le désert est aussi le lieu de la tentation, où s’épanouissent les démons. Souvenons nous des tentations de Jésus au désert… Dans le langage courant, ne parlons-nous pas de “traversée du désert” pour évoquer une période difficile de notre vie ?

Cependant, paradoxalement, le désert est aussi un lieu de vie. Dans cet environnement où la vie est rude, Dieu montre à l’homme sa bonté concrète, et pourvoit à ses besoins : “Car le Seigneur ton Dieu a béni l’œuvre de tes mains ; il a veillé sur ta marche à travers ce grand désert : voilà quarante ans que le Seigneur ton Dieu est avec toi, et tu n’as jamais manqué de rien. » (Dt 2, 7) Plus profondément, le désert est le lieu où l’homme rencontre Dieu et où ce dernier parle à son cœur. En ce sens, le désert est un lieu de révélation de Dieu, mais aussi de révélation pour l’homme ; sur sa vie, ses choix, sa mission. Dans ce lieu de dépouillement, l’homme revient à l’essentiel : il trouve Dieu, et, ce faisant, se trouve lui-même. C’est pourquoi, mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l’entraîner jusqu’au désert, et je lui parlerai cœur à cœur.” (Os 2, 16) Le désert est donc le lieu de l’intimité, du seul à seul avec Dieu.

Au fond, il est permis de penser que ces deux dimensions du désert s’appellent l’une l’autre… C’est parce que le désert est un lieu de solitude, de dépouillement, de vide, qu’il rend possible une rencontre en profondeur avec Dieu. Après tout, si nous voulons être remplis de la présence de Dieu, ne faut-il pas d’abord être vides de tout autre chose ? 

« Il faut passer par le désert et y séjourner pour recevoir la grâce de Dieu ; c’est là qu’on se vide, qu’on chasse de soi tout ce qui n’est pas Dieu et qu’on vide complètement cette petite maison de notre âme pour laisser toute la place à Dieu seul”, explique Charles de Foucauld : “C’est un temps de grâce, c’est une période par laquelle toute âme qui veut porter des fruits doit nécessairement passer. Il lui faut ce silence, ce recueillement, cet oubli de tout le créé, au milieu desquels Dieu établit son règne et forme en elle l’esprit intérieur : la vie intime avec Dieu, la conversation de l’âme avec Dieu dans la foi, l’espérance et la charité  »”  (Charles de Foucauld, lettre de 1898 adressée au Père Jérôme

C’est précisément cette dimension de face à face avec Dieu qui poussa des chrétiens des premiers siècles, désireux de vivre un christianisme radical et sans compromis, à fuir l’agitation et l’immoralité de la ville pour y rencontrer Dieu au désert. De là, se développa l’idée que le moine ou la moniale se définit précisément par ce retrait du monde (anachorèse), à travers une vie érémitique (souvent au désert) ou communautaire (particulièrement dans les campagnes).  

C’est alors qu’intervient ce fameux paradoxe : certains moines, ceux des FMJ, par exemple, ont l’intuition d’une vocation monastique en pleine ville ! Voilà de quoi nous faire perdre notre latin ! En outre, non contents de ne pas s’installer au désert, certains moines, s’inscrivant dans tout un courant de spiritualité du 20e s, ont même l’audace d’imaginer que la ville pourrait bien être un nouveau désert ! Le père Delfieux, fondateur des FMJ, considère ainsi que le même mouvement peut pousser un moine à quitter la ville, et un autre à s’y établir. D’après lui, les moines d’autrefois “ressentaient ce besoin de se retirer, de vivre en rupture, mais pour une plus grand communion. Aujourd’hui, nous vivons fondamentalement la même chose“. 

Mais alors, qu’est ce que la ville contemporaine a de commun avec le désert ? Peut-on remplacer si aisément les dromadaires par les voitures ? Pour répondre à ces questions et à bien d’autres, plongeons dans le numéro 166 de la revue Sources Vives ! 

Publié le : 07/10/2023