La Parole de Dieu me parle-t-elle ?

La Parole de Dieu parle-t-elle vraiment à ma vie ? Les Frères et Sœurs de Jérusalem, pour leur part, semblent en être convaincus. A travers trois numéros de la revue “Sources Vives”, ils nous emmènent plonger avec eux dans la Parole de Dieu pour tacher d’en recueillir les trésors… C’est parti pour une immersion dans la Parole, la vraie, celle qui sauve ! 

Comment donc la Bible, assemblage hétéroclite de livres composés il y a plus de 2000 ans, pourrait-elle me parler ? Voilà une question que beaucoup se posent. Pour tacher d’éclairer notre lanterne, voici trois numéros de la revue Sources Vives des Fraternités Monastiques de Jérusalem :

Ces numéros vous proposent : 

– Une multiplicité de contributeurs : religieux et laïcs,  hommes et femmes, témoins et théologiens, universitaires et priants, chrétiens et juifs…

– Une multiplicité d’approches : Bible, théologie, spiritualité, histoire, philosophie, psychologie, sciences religieuses, tradition juive, expériences personnelles…

Une véritable enquête au cœur de laquelle une ligne semble se dessiner en filigrane : la Parole de Dieu est vivante et source de vie ! A partir de cette toile de fond, germeront de bouleversantes découvertes, à commencer par la toute première : Dieu parle. 

Dieu parle :

La vie monastique est une présence à Dieu. Nous sommes immergés dans un mystère : avant nous, en nous, au-delà de nous, il y a Quelqu’un. Dieu est. Il est là et il parle. Il te parle et tu vis sous son regard. Le moine s’efforce de vivre en présence de cette personne par excellence qui est à la fois le «Tu» auquel s’adresse tout son amour et le «Je» qui s’adresse à lui le premier par pur amour. Dieu t’a appelé par ton nom et tu oses l’appeler de son Nom.” (Livre de vie

Dieu parle. Voilà sans doute la nouveauté vertigineuse de la révélation judéo-chrétienne. Nous n’avons pas un Dieu grand horloger, qui reste dans les nuages et regarde les hommes de haut. Non, Dieu parle aux hommes. Dans une monde où la communication est le maitre mot, nous parlons souvent pour ne rien dire : “je dis ca je dis rien…”, comme on dit. “Paroles, paroles, paroles”, chantait Dalida. Dieu, quant à Lui, ne parle jamais pour ne rien dire, il ne fait pas dans le blabla. Dieu dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit, sa Parole est dite performative. La Parole biblique n’est donc jamais un vain bavardage, elle est pour l’homme un chemin de salut, une source de vie. Pourquoi ? Parce que Dieu ne fait pas que donner une parole, il SE donne dans sa Parole. Par elle, Dieu se fait connaitre, se révèle et se donne. En ce sens, “Le christianisme n’est pas une religion du Livre mais de la Parole..“, comme l’affirme le Père Pierre Marie Delfieux (SV 101). En effet, la Parole n’est pas extérieure à Dieu, elle jaillit de Lui. Dieu parle mais il est lui-même la Parole. “Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.” (Jn 1, 1) Dans sa contribution à la revue “Sources Vives”, Sœur Edith exprime ainsi son émerveillement devant un Dieu qui nous parle et qui nous communique sa propre vie par sa Parole (SV 101).

Dans le numéro de Sources Vives intitulé “la Parole”, nous entrons dans le sens profond de la parole, et surtout, de la Parole divine en croisant les approches et les contributeurs. Au centre, un passionnant parcours biblique sur le sens même de la Parole de Dieu, et la manière dont elle se manifeste dans l’histoire humaine. En effet, force est de constater que la Parole est au cœur du christianisme ! Dieu créé le monde par sa Parole, il révèle sa Loi dans 10 Paroles (Debarim) et s’incarne dans sa Parole éternelle. D’après Daniel Duigou, la Parole est donc “une affaire de vie ou de mort” (SV 101). 

Mais si Dieu parle, à qui parle-t-il ?

Dieu me parle 

“Si je devais me retrouver seule sur une ile déserte, j’emporterais ma Bible et du thé” !  (Harriett Bougon, SV 170)

Dans sa Parole, Dieu s’adresse à l’humanité toute entière, de tout temps et de tout lieu… Et dans cette humanité… il y a moi ! Pour autant, c’est une chose d’admettre que Dieu parle à l’humanité en général, s’en est une autre de concevoir qu’il me parle à moi personnellement ! Or, c’est précisément ce que l’on découvre dans le numéro “la Parole et ma vie” de Sources Vives, qui s’intéresse précisément à la question du destinataire de la Parole de Dieu. En effet, cette antique Parole écrite dans une langue et un contexte situé et particulier nous est bien adressée à nous également… En croisant différentes approches, les contributeurs de ce numéro dévoilent chacun une facette de ce que la Parole leur a dit. 

L’un évoque son expérience de conversion, au cours de laquelle la Parole l’a guidé jusqu’au Christ… Pour l’autre, ce sont ses temps de prière qui ont été vivifiés par la Parole de Dieu. Une sœur bénédictine de Chantelle, quant à elle, raconte comment sa profession monastique s’est enracinée dans les récits bibliques d’actes d’alliance (Josué 24). Ces contributeurs, et tous les autres, partagent une même conviction : la Parole de Dieu, dans sa transcendance insaisissable, a une portée infiniment concrète dans nos vies. Florilège de citations : 

– “La Parole vient de Dieu, elle est don de Dieu comme chemin proposé à l’homme pour l’accueillir et, par lui, accueillir la vie. Elle n’est pas d’abord un code mais le dévoilement de Dieu lui-même dans son mystère. Pour nous elle ne constitue donc pas une liste de comportements à adopter ou à proscrire, mais elle trace un horizon spirituel où l’accueil du don gratuit de Dieu précède toujours notre réponse. A la suite du Christ en qui la volonté du Père s’accomplit parfaitement, nous pouvons nous mettre en route vers le royaume.” (Sœur Cécile, SV 170)

– La Parole est “lieu d’engendrement de nos histoires personnelles et de notre liberté spirituelle… Engendrement, histoire, liberté…telle est la dynamique de la Parole de Dieu dans chacune de nos vies…” (Frère Charles, SV 170)

– “Relire sa vie à la lumière de la parole nous aide à repérer la manière dont l’Esprit nous travaille personnellement et communautairement, non pour nous rendre scrupuleux, mais au contraire, pour, après avoir chaque soir relu nos journées, nous sentir libres d’inventer chaque jour avec Lui.” (Brigitte Polselli, CVX, SV 170)

La Parole de Dieu, lorsqu’elle fait irruption dans nos vies, est donc créatrice, vivante, performative. Parfois éprouvante, elle est toujours chemin de liberté et de bonheur, source de communion avec Dieu et avec les autres… Il s’agit donc de l’écouter, l’intérioriser, l’habiter avant de la faire gouter à d’autres… “Elle est tout près de toi, cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur.” (Dt 30, 14)

Tout cela est très bien me direz-vous, mais concrètement,  comment expérimenter cette Parole vivante adressée à nous ?

Ne vous inquiétez pas, tout est prévu ! Réponse ci-dessous. 

Lectio Divina 

Après avoir formé notre intelligence aux mystères de la Parole, il s’agit maintenant de l’expérimenter pratiquement ! Alors enfilez votre serviette et prenez place à table ! En effet, pour ne pas vous laisser sur votre faim, les FMJ vous convient “à la table de la Parole” dans un numéro de la revue Sources Vives qui vous livre sur un plateau les trésors de l’expérience monastique de lecture priante de la Parole. Comme le souligne le Frère Grégoire, la méditation priante de l’Ecriture est centrale dans la spiritualité de Jérusalem : “les Ecritures sont aux FMJ ce que la culture nationale est à un pays” (SV 170)…  Dans ce numéro consacré au lien entre la parole et la prière, les FMJ proposent de découvrir un moyen très concret par lequel Dieu nous parle. Au menu, une méthode antique de lecture priante de la Parole : la Lectio Divina

Dans ce numéro très pratique,  nous entrons dans le sens de la Lectio Divina, sa dynamique, la manière dont elle a été vécue au long de l’histoire de l’Eglise, et enfin des cas pratiques appliqués à des passages bibliques… Des frères et sœurs nous emmènent ainsi dans les profondeurs de la Parole, en nous partageant les trésors du psaume 1 (la Loi), Proverbes 8 (la Sagesse), Lc 21 (l’obole de la veuve), Mt 25 (Veillez), les pèlerins d’Emmaüs (Lc 24), Saint Barnabé (Actes 11/Actes 13), Vers le sein du Père (Jn 1),… Qui a dit que les moines n’étaient pas concrets ? 

Cette Lectio Divina s’inscrit dans une longue tradition de ce que l’on appelle l’exégèse spirituelle, dont un des plus hauts représentants est le Père de l’Eglise Origène, convaincu que “c’est vraiment Dieu qui nous parle” dans les Ecritures. En effet, mystérieusement, cette Parole ancestrale parle à notre cœur ; elle parle de nous, de notre vie. “Superposer le texte biblique et notre propre vie, c’est accéder au sens spirituel du texte“, nous dit ainsi sœur Moisa (SV 159). Qu’on se le dise : aucune miette de la Parole de Dieu ne peut se perdre ! Alors pour gouter à celle-ci, l’équipe de Sources Vives vous propose un menu “Lectio Divina“, inspiré de l’exhortation apostolique Verbum Domini (n 86), du pape Benoit XVI :  

– En apéritif, la lecture (lectio) du texte biblique choisi : sans aller trop rapidement sur ce que ME dit le texte, il s’agit d’abord de se demander : “que dit en soi le texte biblique ?” Sans cette étape, le texte risquerait de devenir seulement un prétexte pour nos propres projections et désirs…

– En entrée : la méditation (ruminatio/meditatio) du texte, à partir de la question suivante : que nous dit le texte biblique ? Ici, chacun personnellement, doit considérer les paroles bibliques  comme ayant une actualité aujourd’hui dans sa vie, touchant à son existence concrète.

– En plat principal : la prière (oratio) “que disons-nous au Seigneur en réponse à sa Parole ?” Touchant notre cœur, l’écoute de la Parole de Dieu appelle de notre part une réponse à Dieu. Cette prière, qu’elle soit requête, intercession, action de grâce, louange manifeste concrètement que la Parole est agissante et nous transforme.

– En dessert : la contemplation (contemplatio), au cours de laquelle, à partir de sa Parole, nous plongeons dans un cœur à cœur avec Dieu ; un cœur à cœur qui me transforme concrètement : “quelle conversion le Seigneur nous demande-t-il ?”

A la question Dieu me parle-t-il ? La réponse est donc un grand oui !

Ou plutôt… oui et non ! 

Dieu me parle… mais pas seulement à moi… 

Certes, la Parole de Dieu me parle, mais elle ne parle pas uniquement à moi. Dans la Bible, Dieu se révèle et se communique pas seulement à des individus particuliers mais à un peuple. Le père Delfieux rappelle ainsi que l’Ecriture s’est construite dans la Tradition, avec la foi de l’Eglise. D’après le père Marc Rastoin, l’autorité de l’Ecriture provient de la foi vivante des chrétiens et de l’Eglise, conduite par l’Esprit Saint : la Bible est “un livre constitué par la foi” (SV 170). Ainsi, la lecture et l’interprétation de la Parole se vit toujours en Eglise, dans la Tradition, portée par la liturgie. 

La Bible, qui parle à ma petite existence, parle également aux hommes et femmes de toutes les époques, partout dans le monde… Pour illustrer cela, sœur Marie Laure montre à quel point l’interpellation du Christ au jeune homme riche a pris une actualité nouvelle dans les cheminements d’Antoine le Grand et saint François d’Assise. La Bible est une parole qui touche le cœur et conduit à un changement de vie“, pour moi mais aussi pour les autres, en tout temps et en tout lieu (SV 159). La Parole me parle mais parle également à toutes les générations de chrétiens et de saints, prenant à chaque fois une actualité nouvelle dans nos vies… 

Mgr Albert Rouet dénonce ainsi le risque de se considérer comme le terminus de la Bible, son unique destinataire. Il nous invite plutôt à nous envisager comme une gare de passage. Oui, la Bible éclaire notre vie, mais elle ne s’y limite pas. Selon sa formule, la Parole est un “à travers moi“, et non un “exclusivité pour moi” (SV 170). En ce sens, l’enjeu consiste à respecter l’altérité et la transcendance de la Parole, qui à la fois me parle et m’échappe. Au fond, il s’agit d’accueillir la Parole non seulement pour ce qu’elle m’apporte, mais pour elle même… 

Sœur Maylis nous décrit comment la méditation de la Parole peut s’avérer être pour nous un véritable combat, à l’image de Jacob luttant avec Dieu (SV 170). En effet, parfois, la Parole nous livre difficilement ses trésors ; d’une certaine manière, elle nous résiste. Par là, nous comprenons l’altérité irréductible de la Parole. Nous ne pouvons la maitriser, la contrôler : car c’est une Parole divine, qui nous précède et nous dépasse. Au fond, l’enjeu est moins de saisir la Parole que de se laisser saisir par elle… Dès lors, comme nous y invite sœur Marlène, il faut prendre le temps de se laisser façonner progressivement par la Parole, dans le temps long et la persévérance. “Lire la Bible, ce sera toujours apprendre à lire, apprendre et recommencer à construire chaque jour, et nous n’aurons jamais terminé ce noviciat éternel sous la houlette de la Parole de Dieu. Nous serons pour toujours des apprentis de l’Eternel.” (SV 170) Finalement, c’est plutôt rassurant, non ? 

Au fond, entrer dans la Parole, c’est plonger dans le cœur de Dieu, et donc se lancer dans une aventure qu’on ne peut contrôler. Une aventure qui nous conduit à bien des paradoxes… 

De la Parole au silence… 

Entre dans le mystère du silence“, est-il demandé au religieux des FMJ, dans le Livre de Vie : “Le but de ta vie n’est pas de te taire mais d’aimer tes frères et sœurs, de te connaître toi-même et d’accueillir ton Dieu. Tu as besoin d’apprendre à écouter, à rentrer au plus profond et à t’élever au-dessus de toi. Le vrai silence ouvre à la paix, à l’adoration, à l’amour.” (Livre de vie)

Le silence. Un terme qui, dans l’imaginaire collectif, est très lié à l’univers monastique. Pensons aux moines des premiers siècles, fuyant le vacarme des villes pour rencontrer Dieu au désert, et écouter sa Parole dans le silence. Les FMJ, quant à elles, ont fait le choix d’une vie monastique au cœur de la ville, lieu bruyant s’il en est. Moines et moniales prêtent ainsi l’oreille au retentissement de la Parole dans la ville. Dans cette vie monastique, le silence permet d’écouter la Parole, et de gouter à quel point celle-ci est précieuse. Ainsi, le silence permet à la Parole d’éclore ; mais une fois entendue, cette Parole appelle un retour au silence… 

Le père Pierre-Marie, à l’origine de l’intuition des FMJ, ayant lui-même vécu au désert, nous plonge dans ce paradoxe :  “Il y a un lien direct entre la prière et la parole ; un lien évident qui n’en reste pas moins surprenant. Car, si la prière s’exprime éminemment par la parole, elle atteint son sommet dans le silence de l’adoration. Et si Dieu, par définition, est Parole, il est, tout autant, divin et éternel silence.” (SV 159)Paradoxalement, la Parole de Dieu nous mène donc au silence, un silence habité : “Le sommet de la Parole est dans le silence méditatif. Dieu qui est Verbe se dit dans le silence ” (Sœur Edith, SV 101))

Si la Parole mène au silence, c’est sans doute parce qu’elle provient de Dieu et mène à Dieu ; l’indicible. En ce sens, la Parole de Dieu ne peut être que paradoxale ; elle qui est à la fois intemporelle et toujours actuelle, transcendante et intime, universelle et incarnée, ecclésiale et personnelle,… Nous revenons à cette intuition fondamentale parcourant ces trois numéros de la revue Sources Vives. Parce que Dieu m’aime, sa Parole me parle personnellement :  son intimité touche au plus profond de mon âme. Cependant, parce que Dieu est saint et transcendant, sa Parole l’est aussi : elle me saisit mais je ne peux la saisir… Elle est à la fois descente de Dieu et montée vers Dieu. Bref, la Parole est vivante !

Publié le : 29/08/2023